L’accord au forceps conclu vendredi 19 février entre la Grèce et ses partenaires de l’Eurogroup a donné l’occasion à l’éditorialiste de « L’Alsace », Raymond Couraud, d’exposer à son lectorat ce qu’il pense que ce dernier aime à entendre. Ce faisant, il s’inscrit dans la ligne des dirigeants allemands, dont l’intransigeance est d’abord destinée à permettre à la CDU de flatter ses électeurs.

Dans ce pamphlet, le gouvernement Tsipras est traité de « braqueur » et de « mendiant », pas moins. On y reviendra plus bas.

L’éditorialiste donne aussi son point de vue sur la tardive revendication grecque d’indemnisation pour les dommages causés par l’occupation nazie, ironisant sur le fait qu’à ce compte, la France serait fondée à faire la même demande à Rome pour l’invasion de la Gaule.

LA MARQUE INDELEBILE DU NAZISME

Doit-on lui rappeler que la prise de ce qui n’était pas encore la France par les troupes de César puis par les légions impériales a laissé des traces autrement positives sur notre pays que les quatre années de sauvagerie nazie en Grèce ? A-t-il appris que l’échec des alliés italiens du Reich face aux résistants grecs a obligé Hitler à y envoyer quatre divisions et à retarder le début de son attaque sur l’URSS, avec les conséquences de ce retard sur la défaite de l’Axe ? Peut-être ne l’a-t-on pas non plus informé des dizaines d’ « Oradour-sur-Glane » rayés de la carte en Grèce ?

Il est exact que le gouvernement grec a renoncé en 1953 à tout dédommagement supplémentaire et que la revendication actuelle sert à alimenter la confrontation (au même titre que certaines déclarations de M. Schäuble, ou certains papiers de la presse allemande). Mais ce gouvernement, fondé sur la constitution de 1952 et son avenant dispensant les armateurs de l’impôt en réparation de la destruction de leur flotte, n’était que la marionnette des Etats-Unis et du Royaume-Uni dans un contexte de guerre froide et après la liquidation de la résistance communiste durant la guerre civile (1946-1949). Combien de lecteurs de M. Couraud savent-ils cela ?

Balayer ainsi les stigmates de l’histoire, après le « plus jamais ça » qui a guidé les pères fondateurs de l’Europe, a été l’attitude des promoteurs de l’euro quelques décennies plus tard. Portés par l’euphorie des perspectives économiques prometteuses, ils ont choisi d’ignorer que le continent européen est le plus divisé du monde, en termes de frontières, d’états, de langues, de religions, de traditions, et bien entendu de tragédies. Ils ont refusé de voir que ces divisions, ces plaies mal refermées, ne demandent qu’à se raviver quand tout va moins bien. Il suffit d’entendre l’opinion de bon nombre de nos concitoyens sur le voisin germanique, et vice-versa, plutôt que de se gausser des prétentions de ces Grecs, ces paresseux, ces « cigales », ces casseurs d’assiettes des soirs de syrtaki, qui ont la prétention de se souvenir des ravages d’une histoire récente.

L’IRRESPONSABILITE PARTAGEE

Alors, sont-ils donc ces braqueurs et ces mendiants sans vergogne décrits par R. Couraud, ces « idéologues rouges » irresponsables qu’il se plaît à dénoncer ? Loin de moi l’idée de les défendre à tout prix. La responsabilité des dirigeants depuis la chute de la dictature en 1974 est lourde. Mais elle est partagée par tous ceux qui ont, à l’extérieur, fermé les yeux, surtout au moment de l’admission du pays à l’euro trois ans avant les JO d’Athènes, et par la haute finance spéculative qui a provoqué l’ébranlement de 2008 auquel s’est enchaînée la spéculation contre l’euro et la crise des dettes publiques dans la zone du même nom.

S’ils sont ces voyous, alors ne fallait-il pas les en exclure ? Quoi qu’en pensent les thuriféraires de l’orthodoxie libérale (qu’il ne faut surtout pas injurier du vilain terme d’idéologues), ils ont eu peur de prendre cette décision, aux effets imprévisibles sur l’ensemble du système et sur les banques et multinationales qui en profitent. L’Allemagne et ses dirigeants seraient touchés, ainsi que ceux des autres pseudo-démocraties subordonnées au service de ces intérêts.

Les palinodies actuelles favorisent déjà très largement l’émergence de l’extrême-droite et le repli sur ce « pré carré » hérité de l’histoire dont M. Couraud fait si peu de cas.

Enfin, il est bon de se souvenir que tout extrémisme, quel qu’il soit, naît de l’attitude extrémiste et sans nuance du système en place. Il en a été de la révolution de 1789, nourrie en partie de l’aveuglement de l’absolutisme, et de la doctrine marxiste au milieu du 19ième siècle, enfantée par les abus du capitalisme triomphant.

Michel Servé