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Sur le blog d’Alexis CORBIERE, secrétaire national du Parti de Gauche, un papier, en date du 7 mai dernier, nous recommande chaudement la lecture du dernier ouvrage de Jean-Luc MELENCHON, intitulé « le hareng de Bismarck, le poison allemand » dont il dresse un tableau dithyrambique et dont il est dit qu’il  convient de le « lire absolument ».

En attendant de m’atteler à cette lecture de cette œuvre soi-disante indispensable, je me contente pour l’heure d’examiner le contenu de l’article qui en fait l’éloge, en soi déjà amplement source d’étonnement autant que de consternation. A titre préventif, celui-ci tente de désamorcer à l’avance les critiques que le pamphlet (ainsi nommé) pourrait essuyer, en l’occurrence celui de germanophobie : avec un titre pareil sans doute soigneusement choisi, c’est mal parti.

VRAIMENT, QUE LA DROITE ALLEMANDE ?

Première surprise : les droites européennes, à l’exception de l’allemande, sont mises hors de cause dans la politique européenne actuelle : c’est à la CSU-CDU d’Angela Merkel qu’incombe la responsabilité de la politique de rigueur de Bruxelles et à elle seule (pourtant, Hollande vient de rappeler à Cameron qu’il n’est pas question de revenir sur les traités qui y président … et il n’est pas de droite, ou pas encore entièrement !) L’austérité, c’est l’Allemagne, et pas Manuel Valls, ni Barroso, ni Jüncker  et l’acharnement contre la Grèce vient d’elle et pas d’ailleurs (pourtant, à côté des 17 banques allemandes qui font leur chou gras de la dette d’Athènes, se trouvent 20 banques françaises à rafler le juteux gâteau … ?). A-t-on entendu un dirigeant européen intercéder pour une autre gestion de la crise hellénique ?

Et que penser d’une telle affirmation (à propos de l’Allemagne) : « Leur système éducatif est en crise. Leur service public à l’abandon. Leur système fiscal est de plus en plus injuste et de moins en moins redistributif ». En France, chacun le sait, c’est juste le contraire.

A lire ce qui est écrit, ils ne le pourraient pas, car marchant au pas de l’oie sous « la schlague » teutone (écrit : « chlague », mais bon, passons, d’ailleurs les fautes de français elles aussi abondent dans cette chronique publique dont l’auteur, comme son mentor, doit être un grand défenseur de la langue française et de sa supériorité).

La droite française se contenterait, elle, d’être servilement à la remorque de l’Allemagne (et on exhume sous-jacemment et au passage le spectre de la « collaboration »).

(SURPRENANTE) REVELATION: LA RETRAITE ALLEMANDE SERAIT BASEE SUR LA CAPITALISATION !

Suit une autre surprise, de taille : c’est le retraité allemand qui est cause de tous nos maux, car avide de dividendes pour alimenter les caisses de l’assurance retraite qui, en Allemagne, seraient, au contraire de la France, fondées sur la capitalisation et non sur la répartition.

Car l’auteur n’hésite pas, à l’appui de sa thèse,  de produire un gros vilain mensonge : en effet, si, depuis 2000, le recours à la capitalisation pour assurer les retraites est plus avancé en Allemagne qu’en France –où l’on n’a de loin pas renoncé à en faire autant – elles restent pour l’essentiel servies par les organismes d’Etat sur un système dont la France s’est inspiré, et dont le maître d’œuvre a été, près d’un demi-siècle avant la France, … Bismarck, précisément.

Bien sûr, le Junker Bismarck n’avait pas concédé de gaieté de cœur les avantages sociaux (à la couverture vieillesse s’ajoutait la protection maladie) dont les travailleurs allemands ont bénéficié bien avant les autres ; il s’agissait pour lui de prendre de court la montée de la social-démocratie d’alors (qui, même si investie par le réformisme, ne ressemblait pas pour autant à celle, élargie à tout le continent, d’aujourd’hui).

Au-delà, ce doigt accusateur pointé sur le retraité allemand participe d’une curieuse et troublante démarche : car ce retraité est avant tout un salarié. Et voici donc allègrement les salariés (certes, allemands !) désignés comme les responsables de l’austérité capitaliste : mon grand-père, cheminot communiste, cégétiste, et qui est mort en 44 de l’avoir été, qui a perdu ses économies placés dans un fonds de pension pendant la crise de 29, doit s’en retourner dans sa tombe.

LE BOUC-EMISSAIRE IDEAL ?

En outre, on peut s’étonner du fait que non seulement des responsables « progressistes » dénoncent des salariés comme suppôt du capitalisme, mais également qu’ils livrent à la curée populaire, de manière aussi caricaturale, un nouveau bouc émissaire, certes, politiquement plus correct pour la gôche-de Gosch que l’immigré – qui a, plutôt bien assuré ce rôle jusqu’à présent – mais qui remplit exactement la même fonction.

Doit-on se préparer à une nouvelle guerre ? Que nenni, dit le responsable du Parti de Gauche, d’ailleurs le peuple allemand est un peuple frère, inventeur du socialisme, et d’évoquer Oskar (Oscar aurait été encore mieux) Lafontaine – voilà un patronyme prussien au moins civilisé et qui n’écorche pas la gueule.

Néanmoins … Et là, surgissent deux phrases qui laissent rêveur et dont il reste à explorer le sens profond :

« Les trois guerres qui nous ont tragiquement opposé à l’Allemagne ne sont pas nées de la seule folie d’un Hitler ou je ne sais trop quels arguments psychologisants mettant l’économie et la politique à distance. N’ayant rien appris de cette histoire tragique, l’ultra libéralisme et les fanatiques qui l’impulsent, par leurs égoïsmes, exacerbent les vieux nationalismes se qui réveillent. » La coquille est volontairement maintenue.

L’auteur de ces lignes ira-t-il jusqu’à rappeler que la première de la série doit beaucoup aux ambitions du troisième Napoléon de main-mise sur la rive gauche du Rhin héritées de son oncle qui lui-même les a reprises au 14è Louis ? Non, bien évidemment : mais une chose est sûre, de tels écrits ne peuvent que contribuer à l’exacerbation pourtant dénoncée.

« LE CAPITALISME PORTE LA GUERRE COMME LA NUEE PORTE L’ORAGE »

Jean Jaurès

La tentative de distinguer « les Allemands » d’un « peuple allemand » désincarné ou rêvé (c’est-à-dire « soumis » et calqué sur l’hexagone-modèle absolu) a ici échoué lamentablement, car si les retraités ne font plus partie du « peuple », surtout dans une Allemagne vieillissante et qui traite pour cette raison les immigrés mieux qu’on ne le fait en France, il ne reste plus grand monde.

On ne peut qu’exprimer ici que la crainte de voir dans un tel texte l’attisement de causes de conflit dont on ne sait quelle forme il pourrait prendre, et ce, bien que l’auteur s’en défende. On ne peut s’empêcher de penser à ces Girondins qui ont poussé en leur temps à la guerre contre l’Europe entière, en ce temps où la France, à défaut d’inventer le socialisme, a inventé en lieu et place la bourgeoisie prenant les rênes du pouvoir politique.

Et tiens, quand même,  pourquoi pas une bonne vieille guerre, mais une belle, hein ! de celles menées jadis au nom de la Liberté (d’exploiter le travail) et des Lumières à apporter aux peuples forcément un peu crétins et arriérés puisqu’ étrangers, avec toute la prétention et suffisance dont la France  post-coloniale est capable : pour inculquer, par exemple, à nos (faux-) frères germains les bienfaits d’une retraite par répartition dont ils ont été les concepteurs ?

Non, décidément, Mélenchon n’est pas le successeur de Jaurès.

 Daniel Muringer

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