Djamila Sonzogni, conseillère municipale de Mulhouse et conseillère régionale d’Alsace, Europe Ecologie les Verts (18 février):

Rappel préalable de la rédaction: le TAFTA, « what is it »?

DS: Depuis l’été 2013 Européens et Américains négocient l’accord commercial dit traité transatlantique (acronyme TTIP en anglais) qui ne vise à rien moins qu’ à obtenir la baisse des tarifs douaniers et l’harmonisation des réglementations des deux côtés de l’Atlantique pour parvenir, à terme, à un marché unique.

Il s’agit  de négocier des fondamentaux aux conséquences directes sur l’emploi, les normes sociales, environnementales, agricoles, sanitaires, techniques, les reconnaissances des niveaux de diplômes,  pour  la plupart des biens et services, privés voire publics, qui sont les références de nos vies quotidiennes.

L’enjeu est donc considérable, pour ne pas dire capital, mais pour quoi et pour qui?

Critiquée sur le manque de transparence des discussions en cours, la Commission européenne, qui négocie au nom des 28 pays de l’Union, semble vouloir rendre publiques des conclusions provisoires des négociations en communiquant plus de documents au Parlement européen (rappelons que seuls 20 députés européens sont « accrédités » pour  consulter directement, et au siège de la représentation diplomatique américaine à Bruxelles, les textes des négociations en cours…).

Cette ouverture vers la transparence ne va toutefois pas jusqu’à associer des représentants de la société civile aux négociations, ni des partis politiques, ONG, syndicats, qui expriment de plus en plus fortement leurs inquiétudes face à l’opacité imposée.

C’est que les implications de ce traité sont énormes et concernent tous les volets de notre vie économique, sociale, voire sociétale.

Quid demain des droits du travail, pour ne rien dire du droit au travail, du respect des conventions nationales et internationales en matière de protection de l’environnement, des services publics, des marchés publics?

Et quid des conditions de règlement des différends Etats – investisseurs nés de l’application de dispositions issues de ce traité qui pourraient demain être soumis à des procédures d’arbitrage de droit privé écartant le recours aux tribunaux nationaux?

Négocier  un tel projet sans que le mandat de négociation de l’U.E soit soumis au Parlement européen, sans que le mouvement syndical et la société civile soient, sinon consultées mais au moins informés? Que l’on puisse poser la question révèle la dégradation de l’état de notre vie démocratique européenne… Le Congrès des Etats-Unis, par contraste, bénéficie d’un niveau de contrôle réel sur le mandat de négociation américain.

Rappelons quand même que les Etats Unis sont à ce jour en dehors des principaux cadres du droit international en matière écologique, sociale, culturelle, qu’ils refusent d’appliquer les conventions de l’Organisation internationale du Travail, le protocole de Kyoto contre le réchauffement climatique, la convention pour la biodiversité, les conventions de l’Unesco sur la diversité culturelle…

Et il faut rappeler que ces accords s’appliqueraient à tous les niveaux des Etats, y compris au niveau des communes, des intercommunalités, qui seraient donc contraintes d’accorder au secteur privé et aux entreprises étrangères tout avantage accordé au public et au local.

On comprend mieux que déjà plus d’un million de personnes en Europe aient signé des pétitions contre ce Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement,  comme on comprend les nombreuses  collectivités publiques françaises qui se  mobilisent; citons simplement la quasi totalité des Régions françaises, de très nombreux conseils généraux,  plus de 200 villes, qui se déclarent« Hors TAFTA »  selon des formules diverses.

Peu de collectivités, singulièrement en Alsace, ont jusqu’ici osé prendre position sur le « TAFTA »; mais Strasbourg vient de se déclarer  « ville de débat sur le TAFTA » et les régions Lorraine et Champagne – Ardennes se sont déclarées « hors TAFTA » (la nouvelle carte régionale aura- t-  elle quelques vertus?).

Et Mulhouse?

Lors de son entretien récent avec la rédaction de l’Alterpresse 68, Djamila Sonzogni, a développé le projet de motion qu’elle porte au nom du groupe d’opposition municipale « agir pour tous, respecter chacun » (PS/EELV).

Ce projet de motion souligne qu’aux termes d’articles même du mandat européen pour la négociation que les termes de l’Accord futur devront  s’appliquer  aux municipalités et autres collectivités territoriales.

Il demande que la ville de Mulhouse réaffirme les valeurs auxquelles elle est attachée: débat démocratique, confiance mutuelle, respect du principe de précaution, ainsi que celui de la préférence collective à l’échelle européenne et locale en matière culturelle, sanitaire, sociale, environnementale.

Ce projet demande à la ville de Mulhouse d’affirmer que, « considérant que les négociations transatlantiques, ne répondent  pas aux exigences démocratiques en matière de transparence des négociations », que « les préférences collectives des Européens, notamment en ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés, la réglementation des produits chimiques, le traitement des poulets au chlore et la consommation du bœuf aux hormones » font partie des lignes rouges fixées par l’Assemblée nationale et reconnues par le Gouvernement français et le Parlement européen », « les règlements en matière de lutte contre le dérèglement climatique, la transition énergétique, la préservation de la biodiversité, la préservation d’une agriculture durable » ne doivent en aucun cas être menacés.. ».

Il rappelle que le « mécanisme de règlement des différends entre Etats et investisseurs privés ne se justifie pas au regard du haut degré d’indépendance et d’impartialité des juridictions des parties concernées ».

Il conclut en demandant en particulier à la ville de Mulhouse de ne pas rester à l’écart d’une mobilisation croissante que ce projet de traité suscite, compte tenu notamment des risques de voir les normes  européennes alignées par le bas sur les normes en vigueur aux Etat  Unis, de ne pas rester à l’écart des débats sur l’Europe et ses valeurs, à contribuer à la lutte contre l’euroscepticisme grandissant et de réaffirmer que l’Europe ne se résume pas à un espace de libre  – échange ni à  une marchandisation totale comme seule philosophie et perspective d’avenir et à s’associer aux mobilisations en cours de collectivités publiques et de  mouvements citoyens français.

La motion demande  que Mulhouse  se déclare « hors Traité transatlantique » ou, au moins « zone de débat » comme d’autres communes alsaciennes l’ont déjà fait, et envoie ainsi un message aux  députés européens : « nous ne voulons pas d’une Europe qui se ferait sans les citoyens et à leurs dépens et nous refusons de voir les valeurs de cette Europe nivelées par le bas en matière d’éthique, de droit du travail, de santé et de sécurité alimentaire, d’environnement, de protection de données personnelles, de services publics ».

En relayant volontiers ces demandes, la rédaction de L’Alterpresse68 s’interroge : est-ce que le maire de Mulhouse, qui, dans ses déclarations publiques, affirme régulièrement et fortement sa volonté de revitaliser le débat démocratique et citoyen, va saisir l’occasion de faire de sa ville un « Territoire hautement citoyen » sur un sujet capital ?

Et n’oublions pas la M2A, évidemment, qui, une fois n’est pas coutume, pourrait sortir de ses silences.

( N.d.l.r à toutes fins utiles) : nous nous permettons de rappeler le sens du mot anglais « demand» traduit en bon français: « exiger, revendiquer » …

Enfin et pour alerter nos élus locaux et surtout les citoyens nous reproduisons  ci-dessous une mise en garde de Fréderic Viale, docteur en droit et  juriste de l’association ATTAC, qui a évalué quelques effets probables pour les collectivités locales de l’application du projet « TAFTA »:

« Du jour au lendemain, les collectivités apprendront que la réglementation autour des marchés publics liés à la gestion de l’eau, des transports ou du secteur  social a évolué »; « la capacité d’action des élus locaux sera réduite pour la définition des cahiers des charges des appels d’offre ».

« C’est une réduction considérable du périmètre politique des élus et de leur capacité à prendre des décisions au service du développement local ou de la transition énergétique».

« L’accord transatlantique donne les clés de l’intervention publique et de la légitimité à agir aux seules entreprises privées ».

Pour sa part le département de la Seine-Saint-Denis dirigé par Stéphane Troussel (PS) estime que « l’introduction d’un mécanisme d’arbitrage privé investisseurs-Etats qui se substituerait aux juridictions existantes serait un moyen pour les entreprises multinationales d’éliminer toutes les décisions  publiques qui constituent des entraves à l’expansion de leurs parts de marché » et les clauses de contenu social et environnemental, voire de préférence géographiques liées aux impacts locaux sur le développement durable ou la  réduction de l’empreinte environnementale, pourraient  ainsi être écartées des appels d’offres.

Pour la rédaction: M.M, B.S, C.R