LeDivanDuMondeGeorges Yoram Federmann accueille ses patient(-e)s au 5 rue du Haut-Barr à Strasbourg, dans ce qu’il qualifie de «ghetto juif» (1), à proximité de la grande synagogue. Pas de plaque à l’entrée de l’immeuble, pour marquer sa différence avec l’ensemble de ses confrères.

Seul psychiatre à ne pas imposer de rendez-vous, il assure une présence, une écoute, quasi-constantes, non pas pour la jet-set locale, mais en faveur des laissé(-e)s pour compte qui viennent le consulter, souvent sur les recommandations de médecins, d’avocat(-e)s, militant(-e)s comme lui. L’ultime recours pour les démuni(-e)s, les privé(-e)s de presque tout, les «damné(-e)s de la terre et de la mer»!

Cet anticonformiste à l’apparence décontractée (ah, ses T-shirts avec un gros smiley, Batman, une couverture de Charlie Hebdo ou celui, avec l’inscription sur fond rouge, «SARKOZY JE TE VOIS» !) cultive, avec une abnégation admirable, notamment le «Parti Pris de l’étranger». Réfutant le principe de «la neutralité», il accompagne, souvent durant des années, des infortuné(-e)s en «situation irrégulière», non point à ses yeux, mais pour les autorités administratives du «pays des Droits de l’Homme» (?!?), peu enclines à octroyer le droit d’asile. Si ces réfugiés «guérissaient», énonce-t-il, «ils retourneraient dans la clandestinité»… Leur sort l’empêche de dormir.

Le documentaire, exclusivement tourné (2) dans le cabinet du praticien, montre ce dernier à l’œuvre lors du «colloque singulier» entre lui et quelques demandeur(-resse)s de soins, de réconfort, de soutien, d’un plan de survie… À ses sœurs et frères en souffrance de déterminer le contenu de l’ordonnance!…

Abou, un Peul mauritanien, narre péniblement ses horribles cauchemars, les «coups de marteau dans la tête», résurgences d’abominations perpétrées contre les siens par «les maîtres arabes».

Karim, un Algérien sans papiers, qui désirerait changer de nom, vit depuis quatre mois avec «Christine», un travesti de Budapest. Son interlocuteur l’oriente vers le PACS…

Marie-Thérèse, «complètement à l’envers», s’angoisse à propos de l’emprise de sa supérieure hiérarchique.

Diane (49 ans) a perdu l’homme qu’elle aimait et qui la battait. «Malgré le dégoût, il n’y a que l’alcool qui passe». Plus tard, au retour d’une cure, elle semble aller mieux.

Sébastien, un puceau de trente-huit balais, coince pour nouer des contacts intimes avec les femmes. Tout de go, Georges Yoram Federmann le briefe sur le Viagra et les prostituées outre-Rhin: «sois un prince!». Mouais… Pas sûr que les péripatéticiennes bulgares, ukrainiennes ou malgaches attendent cela de leurs michetons! Est-ce bien sérieux, docteur?…

Parfois, ce dernier redoute le pire. Ainsi, «j’ai peur que vous mourriez», lance-t-il à Claudine, une «abonnée» de longue date, obsédée par les médicaments.

Outre une certaine désinvolture, sans doute feinte, ce qui frappe, c’est l’amoncellement de papiers, annuaires, journaux sur le bureau. D’aucunes hurleraient au «bordel». «Le désordre», estime le thérapeute, partisan de la généralisation du tiers-payant, «c’est le mouvement de la vie; l’ordre, c’est la soumission».

Le long-métrage de quatre-vingt-quinze minutes, qui a obtenu le Prix du Groupement national des cinémas de recherche, dans le cadre du Festival international du film de Marseille (30 juin – 6 juillet 2015), est, depuis le 14 mars 2016, à l’affiche du Star à Strasbourg. Le 19 mars, la salle Adalric à Obernai avait fait le plein. Après la projection, un échange passionnant du public avec le réalisateur et le personnage principal avait ponctué la séance.

(1) Dans son très recommandable livre éponyme, paru en février 2016 chez Golias (Villeurbanne), 264 pages, 14 euros.

(2) Durant dix-huit mois, les mardis et jeudis, à partir de septembre 2010. Éric Schlaflang, étrangement non mentionné au générique, avait manié la caméra.

René HAMM,   Le 30 avril 2016

Le 15 novembre 2005, Bouchaïb Chadli, un ancien patient, avait tiré avec un calibre 38 sur le psychiatre et Véronique Dutriez, la compagne de celui-ci, avant de se rendre, rue d’Obernai, chez son généraliste, Haïm Asseraf, qu’il blessa à l’abdomen. Touchée à la tête, la quinquagénaire décéda le lendemain. Au bout de sept mois et demi, Georges Yoram Federmann avait repris son activité. Désormais, il se sent en danger. Le 21 octobre 2010, la chambre d’instruction près la Cour d’appel de Metz déclara le meurtrier «irresponsable pénalement».

R.H.