Mulhouse connaît donc depuis quelques semaines un afflux de demandeurs d’asile; les médias locaux le rapportent et les voyageurs qui traversent le hall de la gare le constatent.

 Après une diminution sensible – en particulier des candidats à l’asile issus du Kossovo et suite probable de la décision du Conseil d’Etat d’octobre 2014 d’exclure à nouveau ce pays de la liste des pays dits « sûrs » –  des dizaines de dossiers de nouveaux arrivants sont ainsi déposés en préfecture 68 chaque mois et près de 500 demandes ont été enregistrées sur les 12 derniers mois.

 UN DISPOSITIF INSUFFISANT

Ces nouveaux arrivants (isolés et familles) sont à la rue en l’attente du déroulement de procédures administratives légales mais dramatiquement longues et du dépôt d’un dossier de demande d’asile qui leur donnera, avec beaucoup de chance, accès effectif à un hébergement ; ils arrivent en effet dans un contexte de saturation chronique d’un dispositif  local déjà totalement insuffisant.

Il y a deux ans et dans une situation voisine le Tribunal administratif  de Strasbourg statuant en urgence à l’instigation d’un collectif d’associations mulhousiennes avait condamné le préfet du Haut Rhin à prendre les dispositions nécessaires pour héberger plusieurs dizaines de personnes, dont nombre d’enfants, demandeurs d’asile en détresse à Mulhouse.

En effet pour ceux qui ont fui guerres, conflits ethniques, discriminations sociétales diverses,  un droit de l’asile s’applique, en application de conventions internationales, de textes européens, de lois françaises : il définit notamment des conditions d’accueil minimales.

C’est ce dispositif d’accueil des candidats à l’asile qui devrait par ailleurs être modifié dès le 2ème trimestre 2015 par notre législateur.

Le gouvernement veut en effet  instaurer un système directif d’hébergement des demandeurs dans un centre d’accueil (CADA) ou un lieu d’hébergement (hors catégorie particulière des « Dublinés qui ne sont pas arrivés directement sur le territoire national).

L’offre d’hébergement devra désormais être acceptée par le demandeur d’asile sous peine de ne pas bénéficier  des conditions matérielles d’accueil (logement durant les procédures, allocation d’attente, aides à la constitution des dossiers…) prévues par les textes européens et nationaux applicables.

Ce dispositif reprendra donc le système actuel, qui se heurtait de fait à la pénurie de places d’accueil en CADA et s’accompagnait de dispositifs d’urgence d’hébergement mobilisables (hôteliers en particulier) en cas de nécessités ponctuelles (afflux massif, conditions climatiques…).

De fait les places offertes ne suffisaient pas à héberger les 75 000 demandeurs estimés en instance en France, l’Alsace n’étant pas la région la moins pourvue en places d’hébergement par rapport au « flux » global des candidats.

INFRACTION A LA DIRECTIVE EUROPEENNE

Mais  le spectacle d’isolés,  de familles avec enfants, cherchant abri dans tous lieux de fortune, dans des squats insalubres, durant des mois est devenu courant dans nombre de nos villes et  la France fait l’objet d’une procédure d’infraction à une directive européenne et de nombreuses requêtes à la Cour européenne des droits de l’Homme pour violation de dispositions européenne en  matière de conditions d’accueil de ces demandeurs d’asile.

A Mulhouse même le hall de la gare était devenu  lieu d’hébergement de fortune (mais jusqu’à minuit seulement pour des raisons de «sécurité », même en hiver…).

Il le redevient donc.

Parallèlement à la refonte de l’hébergement en cours, l’accélération des procédures d’instruction et de jugement des dossiers des demandeurs d’asile dans le futur dispositif légal vise à réduire les délais d’examen à trois mois (OFPRA en première instance) ou six  pour les décisions d’admission ou de refus suite à l’ appel à la Cour nationale du Droit d’asile (rappelons que près de 80% des demandes sont refusées et les intéressés alors « reconductibles à la frontière », c’est à dire « expulsables »).

Mais les arbitrages financiers nationaux prévus, non définitifs, pour la refonte du dispositif devraient de fait représenter une diminution des places pour trois régions, dont l’Alsace.

Enfin aucune place supplémentaire n’est budgétée en 2015 et aucun calendrier n’est fixé pour cette réforme, ce qui laisse totalement dubitatives les associations sur l’effectivité du nouveau dispositif prévu.

Désormais la saturation des dispositifs légaux se double de celle des dispositifs locaux associatifs d’aide alimentaire basique (Restos du cœur notamment) comme plus généralement caritatifs ; le non hébergement se double désormais de détresse alimentaire.

Pour sa part la ville de Mulhouse – rendons lui cette justice que les élus des communes de la M2A, à quelques exceptions près, se défaussent très volontiers de tout appui dans ce domaine – ne veut pas voir la réalité d’un phénomène qui l’interpelle fortement et multiplie les tracasseries administratives pour limiter ses interventions dans le dossier, voire tente d’ entraver l’action des diverse associations d’aide à ceux qui ont fui ces situations dramatiques diverses, pour demander asile à la France, comme le prévoient les dispositions internationales, européennes et nationales qui s’imposent.

« POUR UNE HUMANITE SANS LIMITE »

Mais l’enjeu devient humanitaire et si Mulhouse n’est ni Calais ni Lampedusa, les associations locales gestionnaires comme bénévoles, caritatives diverses, les réseaux divers de bénévoles dévoués, les personnels des structures gestionnaires, s’épuisent devant le cumul des misères vécues, les dénis de droits, les tracasseries et absurdités  administratives, vécues par des centaines et des centaines de personnes, souvent en toute illégalité répétons le.

Il s’agit maintenant pour tous ceux qui se sentent concernés, élus comme associatifs, professionnels comme bénévoles, de répondre fortement à ce défi et de reprendre le magnifique slogan inventé il y a quatre ans par un collectif mulhousien de défense des demandeurs d’asile et des étrangers (« Pour une humanité sans limite ! »)  en réponse à une forte déclaration publique d’alors du maire de Mulhouse : « Nous ne pouvons  pas pratiquer une humanité sans limite ».

Pour que le droit d’asile ne se résume pas de nouveau au droit de laisser dormir quelques heures chaque jour durant des semaines voire des mois, hommes, femmes et enfants dans le hall de la gare de Mulhouse, au refus de toute aide alimentaire, il s’agit maintenant que chacun prenne ses responsabilités.

 Au-delà du Droit, des droits, il y va simplement du respect de valeurs humaines fondamentales.

Nous  sommes certains que le maire de Mulhouse, en particulier, aura pour  aider, dans une action collective et citoyenne, à résoudre cette crise humanitaire qui s’installe dans sa ville la même posture guerrière et volontariste que celle qu’il a affichée dans ses vœux 2015 à la population.

Ceux qui dorment à la gare en font partie, même si ce n’est que pour quelques mois.

Christian Rubechi