L’instance chargé de diriger la CGT entre deux congrès, le Comité confédéral national, n’a pas élu « l’équipe » que veut diriger Philippe Martinez, actuel  secrétaire général de la Fédération de la Métallurgie (la plus importante dans le secteur privé). Rien d’étonnant à cela quant on voit comment la succession de Thierry Lepaon s’est organisé : manœuvres de couloirs, ententes tacites (ou pas) entre des organisations, promesses de postes à de grandes fédérations pour qu’elles soutiennent les candidatures, rien n’a été négligé pour imposer au CCN le choix fait par Philippe Martinez… et Thierry Lepaon, persiflent certains.

 UN DEBAT MARQUE PAR LES NON-DITS

D’après nos informations, les débats au Comité confédéral national ont été vifs et tranchés. Beaucoup d’intervenants ont fait part de leur désaccord sur la méthode, estimant que les problèmes actuels étaient bien les révélateurs de profonds dysfonctionnements et d’un manque d’orientations claires sur tous les grands sujets qui touchent au monde du travail.

Il faut savoir que le CCN de la CGT est d’une grande hétérogénéité. Les organisations représentées n’ont pas toutes les mêmes préoccupations, ni les mêmes moyens, ni les mêmes approches. Qu’est-ce qui rapproche une Fédération de la Métallurgie, de la Santé, des Postes et Télécommunications, avec leurs dizaines de milliers de membres, de la Fédération des Sociétés d’Etude ou des des officiers de la marine marchande avec des effectifs qui se montent à quelques centaines. Quelles préoccupations communes entre une Union départementale des Bouches-du-Rhône et celle de la Lozère…

Ce sont évidemment les organisations les moins fortes qui ont plus besoin de la Confédération, y compris sur le plan financier. Très souvent, leur dirigeant (qui siège au CCN) est rémunéré par un fonds commun géré par la direction confédérale : sans cet argent octroyé par une commission très contrôlée par le secrétariat général, des structures ne pourraient plus exister, leurs dirigeants ne seraient plus payés. Bien sûr, les grandes organisations n’ont pas ce fil à la patte et sont mues par d’autres motivations. Essentiellement celle de leur « indépendance », leur seule demande à la Confédération étant qu’elle donne sa bénédiction à la politique qu’elles ont décidé seules. Cette autonomie des grandes organisations (fédérations et unions départementales ainsi que l’Union Régionale Ile-de-France, véritable Etat dans l’Etat) s’est encore intensifiée ces dernières années alors que la dépendance des petites structures, étranglées financièrement par le recul des adhérents, augmentaient.

 PRESQUE DU VAUDEVILLE

Cela se ressent dans les débats au CCN. Ce sont les grandes structures qui ont mené la campagne contre Thierry Lepaon et cela fait longtemps que des ambitions se font jour dans nombreuses d’entre elles et qui se sont mises d’accord sur la proposition de Philippe Martinez et son équipe.

Mais une grande partie du CCN n’a pas joué ce jeu. Certains ont clairement fait état de leur lassitude de la « guerre des chefs » et qu’ils souhaitaient une clarification politique. C’est ce qui apparaît dans la « déclaration du CCN du 13 janvier 2015 » dans laquelle la « CGT appelle également à faire obstacle à la nouvelle régression sociale que représente le projet de loi Macron ». Les mêmes, qui sont des organisations proches du terrain, appelaient à une sortie de crise rapide en nommant une direction confédérale car elles sont confrontées à des fortes interrogations des syndiqués, voire à une débandade dans certains cas. A la limite, peu importe qui est désigné, pourvu qu’on en sorte.

A contrario, une partie importante des grandes structures s’est clairement positionné contre l’équipe présentée par Philippe Martinez. Et comme les statuts prévoient un vote à la majorité des 2/3 pour désigner un bureau confédéral, les 57% obtenus ne suffisaient pas. On a même vu, un moment le « pressenti » secrétaire général tenter de faire croire que 57% étaient bien une majorité et que la règle des 2/3 était absurde…

Mais jamais il n’aurait obtenu 57% si une des Fédérations, celle de la Santé, dont la représentante était mandatée pour s’opposer à l’équipe proposée, n’avait pas changé son fusil d’épaule et à voter pour. Avec le risque de voir une crise survenir à présent à la Fédération de la Santé.

 UN POSSIBLE SECRETAIRE GENERAL « PRESSENTI » MAIS QUI S’AUTOPROCLAME

 Le CCN a donc mandaté une commission placé sous la responsabilité de Philippe Martinez pour faire de nouvelle proposition lors de la prochaine réunion de l’instance les 3 et 4 février prochains. Et Martinez a été « pressenti » pour être le futur secrétaire général… Mais sans attendre, il s’est autoproclamé premier responsable. Et il tient consultation sur consultation pour présenter une équipe acceptable.

Dire que le climat est lourd actuellement porte de Montreuil est un euphémisme. Tout le monde se méfie de tout le monde et la « chasse » aux supporters de Thierry Lepaon est ouverte. Chacun regarde l’autre en chien de faïence et gare à ceux qui ont trop ouvertement soutenu l’ancien secrétaire général. Allez, dans ces conditions, rassemblez tout le monde pour repartir !

On peut douter que la première organisation syndicale française soit sur le chemin d’une sortie de crise.

 PAS DE CONGRES EXTRAORDINAIRE

 D’abord, parce qu’on retrouve dans la désignation du futur secrétaire général la même situation qui a prévalu lors de la désignation de T. Lepaon. L’erreur du 50e congrès n’a pas été un mauvais casting, mais l’absence d’une définition d’une orientation syndicale claire et lisible pour l’avenir. Des intervenants au CCN avaient proposé de tenir un congrès extraordinaire dans quelques mois. Cela avait l’avantage de mettre à nouveau les syndicats dans le coup, eux qui regardent aujourd’hui les « fusées Scud et Patriot » passer au-dessus de leur tête.

D’ici là, un bureau aurait pu être constitué par la Commission exécutive, seule organisation encore incontestable car élue par le congrès (voir ci-après l’article CGT: « Qui décide… »). Elle aurait pu mettre ce temps à profit pour corriger les manquements du dernier congrès. Or, la nouvelle équipe « pressentie » propose de tenir le congrès à la date prévue.

Déni de la réalité ? Crainte d’ouvrir la boîte de Pandore ? Difficile à dire mais la CGT s’affaiblit encore un peu plus avec cet épisode tragi-comique.

Que reste-t-il pour sauver la situation ? Les 22.000 syndicats qui sont la base de l’organisation. Ce sont eux qui tiennent la baraque car dans les entreprises ils font face et ont encore une grande crédibilité auprès des salariés. Cela peut-il durer si au sommet de l’organisation, les débats stériles vont déboucher sur une impuissance. Au moment où le gouvernement et le Medef ne se gênent pas pour tenter de remettre en cause le fondement même du modèle social français. Et que certains syndicats considèrent cela comme inéluctable car dicté par une crise économique inédite. Ce qui est arrivé assez souvent avec le syndicalisme dit « réformiste ». Mais il y avait une CGT en face, capable de peser pour éviter les compromis les plus désastreux. En a-t-elle encore les moyens aujourd’hui ?

Michel Muller