L’Alterpresse crée une nouvelle rubrique « Notre Alsace ». Celle-ci est destinée à alimenter le débat sur la réforme territoriale, la nouvelle organisation des régions et la place de l’Alsace dans ce bouleversement qui n’est pas qu’administratif. Les enjeux économiques, sociaux, culturels sont tout aussi importants que les incidences politiques de cette réforme.

En outre, la « question alsacienne » a toujours été un sujet de querelles entre les Alsaciens, particulièrement au sein de la gauche alsacienne. Nous publions, en quatre volets, un point de vue qui lance des débats. L’Alterpresse68 veut, avec cette parution, donner une image pluraliste du débat qui ne se résumera pas à « pour » ou « contre ». Nous souhaitons que les diverses opinions puissent avoir droit de cité, sans craindre les débats contradictoires, les controverses, les confrontations… Nos colonnes sont donc ouvertes à toutes réactions, prises de positions, sur une question qui est une vraie préoccupation citoyenne.

  1. Quelques singularités de la mouvance alsacienne

La fin de l’année 2014 aura été marquée en Alsace par la clôture d’une séquence politique rythmée par des manifestations répétées dans les trois grandes villes régionales qui, sans avoir été massives, ont néanmoins connu une participation significative.

Elles ont été organisées par différentes associations et sous l’égide d’un parti politique régionaliste « Unser Land », dont l’implication a, semble-t-il, été nécessaire pour lever les menaces d’interdictions dont les manifestations avaient été initialement frappées.

 Cette séquence pourrait bien n’être que le premier épisode d’une contestation en région de sa fusion avec la Lorraine et Champagne-Ardennes décidée par le gouvernement Valls.

 Il faut sans doute remonter à l’entre-deux guerres et à cette période dénommée « le malaise alsacien » pour trouver une mobilisation aussi retentissante en opposition à des décisions privant la région d’une reconnaissance de ses spécificités, ici en lui retirant le bénéfice d’une entité territoriale en propre, et dont elle paraissait jusqu’à présent se contenter.

 On serait tenté de prime abord de situer le parti « Unser Land » et les autres associations partie prenante du mouvement bien ancrés à droite, mais à l’examen il convient de nuancer cette localisation spatio-politique : en effet, les quelques maigres propositions sociales et économiques formulées [i] sont davantage d’inspiration socio-démocrate ou centriste, et pas plus de droite que les principes qui président à la gouvernance actuelle du PS, ici à la sauce davantage CGPME que proprement MEDEF.

 Même la proposition formulée par un tenant du mouvement (pas forcément affilié à « Unser Land », qui ne totalise d’ailleurs jusqu’à présent que deux ou trois cents membres) de baisser le Smic en Alsace afin de rendre la région plus attrayante pour les entreprises allemandes est tout à fait conforme au « Zeitgeist » qui souffle actuellement sur le Bercy de Macron.

 Les organisations telles « Alsace d’abord », scissionniste du FN, sont tenues à l’écart même si elles restent sans nul doute à l’affût. « Unser Land » a établi un temps des accords électoraux avec EELV, dénoncés plus tard par ces derniers. L’actuelle présidente est elle-même issue du mouvement écologiste, et on serait bien en peine de trouver dans son parcours un quelconque lien avec une organisation ou des idées d’extrême-droite.

 Je n’ai ni lu, ni eu vent d’ aucun propos xénophobe émanant des protagonistes, hormis quelques propos anti-parisiens quelque peu crânes de tradition dans nos  « provinciae » et qui ne sont que le pendant des propos germanophobes plus que séculaires et bien plus féroces que les Alsaciens ont souvent repris en écho – notamment pour prouver leur loyauté nationale quand elle était mise en doute – sans se rendre compte qu’ils en étaient eux-mêmes la cible autant que les ultra-rhénans, et je n’ai, pour ma part, identifié qu’une seule personne participant au mouvement (ce qui, encore une fois, n’implique pas – j’en doute fortement -son adhésion à « Unser Land »), dont les sympathies pour le FN sont connues, ce qui reste insuffisant pour entacher tout le mouvement de pestilence brunâtre, au même titre que la bonne dizaine de pourcentage des adhérents de la Cgt qui votent FN ne saurait permettre de qualifier cette dernière d’organisation de fasciste.

 Bien sûr, les élus locaux de la droite nationale ont été largement présents dans ces manifestations, ont contribué à leur organisation, y compris par la mise en place lors de la première du 11 octobre d’un contestable – et contesté dans sa légalité – tarif minoré des TER.

 Ce qui ne suffit toujours pas à qualifier ce mouvement – sauf à avoir été investi par de fins dissimulateurs – comme relevant de l’extrême-droite, ou piloté en sous-main par elle, ce que ressassent pourtant à l’envie des camarades du Parti de Gauche.

 Une posture au demeurant facile, qui permet d’évacuer commodément le cœur du problème, à savoir la légitimité de l’Alsace, au vu de son histoire, de sa culture et de sa situation géographique,  de bénéficier d’une entité territoriale spécifique.

 Le mouvement n’est pas davantage sécessionniste. L’inscription de la région dans l’ensemble national français n’est pas remise en question (pour l’instant) ; est revendiquée une meilleure prise en compte des proximités économiques et culturelles avec l’Allemagne et la Suisse, ce qui n’est pas la même chose, flanqué du sentiment tenace qu’on ne comprend pas la région à Paris, sentiment qui, à l’examen de l’histoire de ces cent dernières années, n’est pas entièrement dépourvu de fondement.

 On ne saurait reprocher sérieusement aux porte-paroles des manifestations que le fait d’être revenu à la charge avec l’idée de Conseil Unique d’Alsace, impliquant la suppression des deux départements, et qui avait été rejeté par referendum en 2013. (Il rejoint en cela curieusement les projets tant de la droite que du PS nationaux). Le mouvement reste également muet sur la perte d’intervention démocratique consécutive au regroupement intercommunal.

 Cependant, les organisateurs étaient soucieux de créer un mouvement aussi large et unitaire que possible, et il est probable qu’il y aurait eu moyen pour eux de mettre ce point de divergence en veilleuse, s’ils avaient été approché en ce sens.

 L’impossibilité de fédérer les critiques

 Le Front de Gauche est resté pour sa part campé sur la seule critique générale de la réforme territoriale, dénonçant l’éloignement des centres de décision de l’intervention citoyenne et les transferts de moyens réduits qu’elle ne manquera pas d’entraîner pour assurer les services au public. La pétition du PCF[ii] évoque toutefois les futures régions « désincarnées », et on pourrait lire dans ce terme comme un regret de l’absence de prise en compte de réalités « humaines » dans le nouveau découpage.

 Localement cependant, cet aspect des choses n’a pas été pris en compte et le cas spécifique de l’Alsace qui disparaît en tant qu’entité administrative – ce qui facilite sa disparition tout court – dans cette réforme n’est pas évoqué par le Front de Gauche qui n’a pas investi le terrain plus avant (à l’exception du régime particulier de sécurité sociale Alsace-Moselle).

 Il aurait pu tenter cependant, en se joignant aux manifestations sur la base du plus petit dénominateur commun, à savoir l’opposition à la réforme, de corriger le trait le plus détestable des tenants de l’autonomie régionale, en l’occurrence la tentation de soustraire la  région à la solidarité nationale (notamment par un contrôle local de la fiscalité), en interrogeant – et s’interrogeant – sur la part de bien-fondé de l’idée autonomiste aujourd’hui,  sur ce que pourrait être son contenu acceptable, tant le concept est politiquement flou : défini comme étant la capacité de faire des choix en région (comme pour les départements et les communes chacun à son échelle, à l’intérieur d’une dotation juste et égale entre territoires, et dans des champs d’intervention déterminés), cela relève bien de la démocratie et n’est pas finalement pas très éloigné de ce qui existe déjà depuis la loi de décentralisation de 1982. Il conviendra d’y ajouter la charge pour l’Etat de veiller au fonctionnement équilibré de ses missions de service public, et d’intervenir pour corriger leur mise en œuvre là où apparaissent des carences et des faiblesses.

 Ceci, non dans le culte exalté de la nation, mais comme le point de départ d’une péréquation qui pourra, et doit un jour être universelle, et sans auto-proclamation et auto-érection en modèle (en Allemagne, des interrogations se font jour sur les inégalités entre Länder).

 En bref, investir le mouvement avec ce que le Front de Gauche a en propre.  Le fond de la revendication et de la contestation de la réforme  est au demeurant strictement le même : une préalable consultation populaire au redécoupage.

 Un texte figurant sur le blog Pcf 67 semble aller dans ce sens, mais sans plus de concrétisation au-delà de la déclaration d’intention.[iii].

 Daniel MURINGER

 A suivre en  2ème partie : la délicate question, de l’autonomie

[i]http://www.unserland.org/programme/economie/

http://www.unserland.org/programme/social/

[ii]http://www.pcf.fr/58560

[iii]http://67.pcf.fr/64081