Le secteur bancaire n’échappe pas à la révolution numérique et comme l’ensemble de l’économie des services (taxis, hôtellerie, musique, presse…), les métiers de la banque et de la finance sont confrontés à l’ « ubérisation » de leurs activités. L’arrivée de nouveaux acteurs venant du monde digital dans le monde de la finance, est en train de bouleverser le modèle économique et les banques ne s’en sortiront qu’en diversifiant leur activités, leurs offres. Le CIC-Crédit Mutuel présidé par M. Théry (notre photo) n’échappe pas à cette révolution… Et il s’avère que le fait de posséder un groupe de presse est un des moyens de diversifier l’offre aux clients de la banque… Et pour un groupe bancaire constitué d’un réseau très dense d’établissements régionaux, la presse régionale peut être un atout stratégique très précieux dans la féroce concurrence qui est en train de se mener entre les banques elles-mêmes mais également avec les « nouveaux entrants » dans le secteur financier.

 

Un passionnant article dans la revue Economie et Politique N° 75 (juillet 2017), signé Matthieu Llorca (maître de conférences en économie à l’université de Bourgogne), « Les banques aux prises avec les fintech », décrit clairement les processus en cours et ces « nouveaux entrants ».

Des acteurs « non-bancaires » dans les activités de la banque !

Depuis quelques années, plusieurs types d’acteurs non bancaires apparaissent sur le marché jusqu’ici réservé aux banques. D’une part des start-up innovantes combinant finances et nouvelles technologies remettant en cause les pratiques traditionnelles de la finance en proposant des nouveaux modes de financement à travers des plates-formes digitales, des crédits plus transparents et moins chers.

D’autre part, les grands conglomérats américains de l’internet, les fameux Gafa (Google, Amazon, Facebook et Appel) tout comme leurs concurrents chinois, convoitent aussi le marché de l’assurance et de la banque. Et, pour en rajouter une louche, les opérateurs télécoms font leur apparition dans cette industrie (Orange va lancer prochainement France Orange Bank). Mais cela ne s’arrête pas là : les géants de la grande distribution se lance également dans la e-banque comme le fait Carrefour avec C-zam.

La bataille autour du contrôle du secteur financier digital aura ses gagnants et ses perdants. Certes, le monde bancaire traditionnel n’est pas battu d’avance, mais pour la première fois, il a affaire à une concurrence qui mette son activité, ses manières de faire, ses monopoles, en cause. Il s’avère que la majorité des banques sont moins bien armées que les jeunes start-up innovantes, les géants de la high-tech ou les opérateurs télécoms pour faire face à cette évolution.

Dans la revue Agefiactifs  du 2 novembre 2015, un article consacré à un rapport sur les « Fintech », disait déjà qu’ « à quelques (rares) exceptions près, les banques françaises ont tardé dans l’adoption des nouveaux moyens de communication, en arguant de raison de sécurité, du besoin de rencontrer les clients avant de signer un emprunt, etc ».

Le directeur général du Crédit Mutuel Arkéa (couvrant l’ouest de la France), Ronan Le Moal déclare sans ambages : « Les banques qui ne se réinventeront pas disparaîtront ».

Dans quel camp se retrouvera le Crédit Mutuel ?

Par la constitution de multiples filiales, le CIC-Crédit Mutuel a développé les offres de services hors activités bancaires.

Une de ses filiales les plus importantes est Euro-Information qui était, à l’origine le centre informatique du Crédit Mutuel à Strasbourg. M. Michel Lucas en a fait une arme redoutable pour fournir de multiples services au sein du CIC-Crédit Mutuel mais également à l’extérieur. Actifs dans des domaines aussi variés que la gestion et la maintenance informatique, le développement de logiciels, des opérations marketing, la télésurveillance… Parmi elles, notons Euro-information Telecom, opérateur de réseau mobile virtuel contrôlé à 95% par le Groupe Crédit Mutuel-CIC et 5% par NRJ Group. Avec 1,6 million de clients, Euro-Information Telecom est le premier FULL MVNO (opérateur de réseau mobile virtuel qui n’a pas de fréquences mais amène des clients aux opérateurs disposant du réseau) en France, tant en nombre de clients qu’en chiffre d’affaires. Euro-Information Telecom propose des offres 4G sur le réseau mobile Orange, sur le réseau mobile Bouygues Telecom et sur le réseau mobile SFR.

En outre, Euro-Information est  la structure informatique la mieux protégée, puisqu’elle a pu résister aux dernières cyber-attaques qui ont mis en difficultés moultes grandes entreprises dont Renault.

Rajoutons que, selon nos informations, les activités de services ont réalisé un chiffre d’affaires plus importants que les activités bancaires au sein du CIC-Crédit Mutuel ! On pourrait donc penser que le Crédit Mutuel est armé pour entrer dans le monde bancaire ubérisé…

Proposer des services, de plus en plus de services…

Le modèle est à présent connu : les grands groupes de communication sont prêts à vous offrir un téléphone mobil fort cher à l’achat, à condition que vous souscriviez à des « applications » qui couvrent à présent l’ensemble des activités humaines.

Les « offres » sont nombreuses et elles doivent se renouveler sans cesse, de nouvelles propositions doivent être imaginées. Outre la musique et les jeux, une des offres les plus rentables est l’information. Google a fait sa fortune en pillant les informations traitées par les journaux, en les mettant à disposition gratuitement aux internautes. Bien évidemment, sans rémunérer les journalistes ni même les éditeurs dans un premier temps… Cela a changé avec la création, en France et à la demande des éditeurs de presse adoubé par le président Hollande, du « Fonds pour l’innovation numérique de la presse » doté de 20 millions d’euros par an versé par Google ! Ridicule et presque insultant, quand on connaît le chiffre d’affaire de Google venant entre autres de la publicité qui se déporte de la presse pour aller sur le net.

La symbolique est pourtant là : Google a bien compris que s’il voulait continuer à piller la presse, il fallait que celle-ci puisse continuer à faire son travail d’enquête, de rédaction, de diffusion. Il ne faut pas tuer la poule aux œufs d’or !

groupe-ERBA

La presse régionale : un atout pour le Crédit Mutuel

Il faut reconnaître que la stratégie du Crédit Mutuel en matière de presse était assez visionnaire. Posséder des journaux très ancrés dans la population dans laquelle le Crédit Mutuel est bien souvent une « institution », donnait une image positive à la banque.

A présent, où dans chaque caisse du Crédit Mutuel on fait des offres de services tels que la téléphonie, il faut aussi vendre des contenus. Le travail des milliers de journalistes du groupe Ebra est un trésor sur ce point : les journaux possèdent des informations stockées, toujours renouvelées, disponibles, prêtes à être commercialisées par un opérateur de téléphonie mobile. Et parmi elles, les informations locales que seule la presse régionale et ses nombreuses agences peut traiter.

L’intérêt pour le Crédit Mutuel est donc bien de continuer à entretenir cette poule aux œufs d’or que représente la presse régionale. Si elle met en avant les pertes du groupe de 50 millions d’euros par an, il faut relativiser ce montant par le bénéfice que peut en tirer directement le Crédit Mutuel pour son propre chiffre d’affaires.

Les syndicats du groupe Ebra seraient bien inspirés d’examiner de plus près le contour de ces pertes : on sait que la Banque Fédérative du Crédit Mutuel n’a pas racheter en direct les journaux de la région Rhônes-Alpes. C’est le journal de Lyon, Le Progrès, qui a été chargé d’acheter tous les journaux grâce à un prêt du… Crédit Mutuel. Bien évidemment, les comptes du Progrès sont plombés par les millions d’euros qu’il a dû emprunter pour ces acquisitions… et par les intérêts qu’il doit verser à la banque qui lui a avancé l’argent !

Mais un atout à préserver et à développer

Il n’est pas sûr que l’énarchie à présent à la tête du CIC-Crédit Mutuel est prête à développer ce secteur. Bien au contraire puisqu’elle a fait appel à un « kost-killer » qui a déjà été à l’œuvre au groupe Le Parisien et dont l’action consistait plutôt à ses débarrasser de la presse et de ses imprimeries.

Les premières annonces faites par le « kost-killer » soutenu par M. Alain Théry, le président du CIC-Crédit Mutuel est de supprimer des journaux (dont L’Alsace à Mulhouse et peut être le Républicain Lorrain à Metz) et il semblerait bien que le rêve de l’énarchie au pouvoir serait le journal unique pour le Grand Est… Ce qui serait plus qu’un non-sens, ce serait une aberration.

Car si la presse peut être utile à l’activité de « services » du Crédit Mutuel, il faut quelle puisse continuer à faire son travail avec les moyens nécessaires et, surtout, qu’elle ait des lecteurs et de la publicité. Or, il s’avère qu’à chaque disparition d’un journal, une grande partie de son lectorat ne se reporte pas sur celui qui l’a absorbé.

Un autre moyen de perdre assurément des lecteurs, c’est de maltraiter les abonnés qui représentent encore plus de 80% des lecteurs des deux quotidiens alsaciens. La raison d’être abonné, c’est de recevoir dès potron-minet son journal dans sa boîte aux lettres. Impérativement avant 7 h du matin, sinon l’abonnement n’a plus de sens. M. Théry veut fermer des centres d’impression, d’aucuns disent même qu’un seul centre dans tout l’Est de la France suffirait à tous les titres ! L’éloignement des imprimeries du réseau des porteurs, c’est le risque assuré de retards fréquents dans la distribution.

Le plan actuel que le Crédit Mutuel veut imposer aux salariés de son groupe de presse va donc être non seulement préjudiciable aux journaux mais également à toutes les activités services offerts par le Crédit Mutuel et que la presse peut lui fournir.

Une nouvelle gouvernance du Crédit Mutuel

 Un des atouts du Crédit Mutuel pour affronter le nouveau monde bancaire digitalisé, c’est son réseau d’agences de proximité et ses milliers de sociétaires. Même si leurs voix sont peu entendues, ils représentent une force avec laquelle la direction opérationnelle du Crédit Mutuel doit compter. Or, il n’y a rien de plus intolérable à un énarque que de devoir écouter ou seulement entendre la voix de citoyens par définition incultes à la science du pouvoir que seuls les diplômés de l’ENA croient posséder.

Là, également, une tendance se dessine allant vers la fermeture d’agences du Crédit Mutuel au risque de sacrifier ce réseau très imbriqué dans la population et qui ne peut pas être seulement un argument publicitaire.

La purge que le Crédit Mutuel veut administrer à sa presse semble devoir aussi s’appliquer peu à peu à lui-même.

Et on peut s’interroger sur la stratégie de M. Théry : se délester et affaiblir des atouts aussi importants que la presse et le réseau d’agences décentralisée dans la féroce bataille autour de la banque digitale n’augure rien de bon pour l’avenir de la 5e banque française dont le  résultat net du groupe s’élève à 2,410 milliards d’euros en 2016. Que pèse les petits 50 millions d’euros de perte d’Ebra dans ces conditions…

Michel Muller