(Documentaire programmé sur Arte le 11 mai 2016 à 9 h).

Aux quelque 380 000 tonnes de détritus hautement radioactifs accumulés depuis 1943 dans le monde s’ajoutent environ 10 000 tonnes chaque année, émanant des 398 réacteurs opérationnels actuellement dans 31 pays. Durant cinq ans, Edgar Hagen avait accompagné aux quatre coins du globe le physicien écossais Charles Mc Combie, un expert du «rangement» définitif.

Le cinéaste bâlois et son interlocuteur, habitant à Gipf-Oberfrick (canton d’Argovie), ont parcouru la planète afin de repérer un site adapté à la conservation, pour des dizaines de milliers d’années, des résidus les plus toxiques parmi ceux qui résultent des activités humaines.

L’interlocuteur du réalisateur estime que nos sociétés «nécessitent la composante nucléaire» et redoute le reflux de celle-ci. Se montrant scrupuleusement attaché à la sécurité optimale, il plaide en faveur d’un soubassement géologique stable «garantissant» (?!?) l’isolation des matières issues de la fission.

Friable

Les dirigeants chinois, qui se plastronnent de la promotion des énergies renouvelables, prévoient la construction de 22 blocs, s’ajoutant aux 33 raccordés au réseau. Le duo se rendit à Qinshan (province de Zhejang) ainsi que dans le désert de Gobi. Il rencontra Ju Wang, le directeur du programme national de stockage. Le courtois ressortissant de l’Empire du Milieu formule sa préférence pour le granit, une roche que d’autres spécialistes considèrent comme friable.

Ce «voyage à destination du lieu le plus sûr de la terre» (traduction littérale du titre original allemand) conduisit dans l’usine de retraitement de Sellafield (Grande-Bretagne) où «repose» la quantité la plus importante (102 tonnes) de plutonium séparé, à Falsenau, Bözen (Argovie) et Benken (Zurich). Le géologue zurichois Marcos Buser claqua, en juin 2012, la porte de la Commission de la sécurité nucléaire, en fustigeant « les manigances» au sein des organismes en charge de la filière dont il avait encaissé des honoraires non négligeables… Parfaitement conscient de l’impérieuse nécessité de dégager une solution viable pour la gestion du rebut radioactif, il aimerait que celle-ci échappe au contrôle de la branche. Charles Mc Combie avait, lui, engrangé 200 millions de francs suisses. Mais, durant les cinq années d’investigations, il n’était pas parvenu à prouver que sur le sol de la Confédération helvétique existeraient des stratifications adéquates. Les enquêteurs causèrent également avec deux bourgmestres, qui accueillirent ce type de fret dans leur commune. Jacob Spangenberg, celui d’Östhammar (province d’Uppsala en Suède), avalisa spontanément l’hébergement, sur le ban communal, des reliquats provenant de l’activité des centrales, non sans se réserver l’option de stopper l’opération à tout moment. Bob Forrest (Carlsbad, Nouveau-Mexique) se montra particulièrement enthousiaste: un millier de jobs, des salaires assez juteux, un budget-cadeau de 230 millions de dollars, liés à un projet, bien «vendu» par Wendell Weart, et dont le coût s’éleva à… 12 milliards de dollars sur deux décennies. Cette «histoire à succès» signifie «l’accomplissement du rêve américain».

Souvenir de la bombe

Patatrac! Les 5 et 14 février 2014 (1), deux «incidents» survinrent sur le Waste Isolation Pilot Plant, le site d’enfouissement d’éléments isotopiques, notamment militaires, une couche de sel de 600 mètres d’épaisseur, à six hectomètres et demi de profondeur. Plusieurs «tonneaux» s’ouvrirent, suite à une explosion de nature chimique, générant un énorme taux de radioactivité. Les autorités, tout comme l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire à Fontenay-aux-Roses, minimisèrent la portée de cette catastrophe, qui contamina plusieurs dizaines de techniciens…

Les antinucléaires livrèrent leurs arguments face à la caméra et au micro d’Edgar Hagen. Russell Jim, de la nation indienne Yakama, remémore la confiscation, par l’administration américaine, d’un territoire près de Hanford (Washington). Avant la promulgation, le 11 août 1978, de la loi relative à la sauvegarde des religions indiennes, Jimmy Carter avait autorisé le creusement de trois tunnels dans le basalte. Des fissures apparurent. Les mouvements de résistance remportèrent une victoire. Dans cette région, des ingénieurs, sous l’égide de Julius Robert Oppenheimer, avaient fabriqué la bombe «Fat Man», que le sous-officier Kermit Beahan balança, le 9 août 1945, sur Nagasaki depuis la cabine du Boeing B-29 «Bockscar». Les parages autour de la montagne sacrée Gable Mountain font partie des endroits les plus pollués de l’hémisphère Nord. Dans les entrailles de la Yucca Mountain (Névada) auraient du être déversés les résidus en provenance des 104 unités américaines. Steve Frishman fut l’un des fers de lance de la contestation. Fin janvier 2010, Barack Obama renonça à cette option. Wolfgang Ehmke, de l’Initiative citoyenne de Lüchow-Dannenberg (Basse-Saxe), se dresse depuis 37 ans contre le dôme de sel à Gorleben, non approprié pour l’installation à demeure des containers «Castor». Il qualifie «d’illégal» le transport de ceux-ci et nous enjoint de «réfléchir aux héritages que nous laisse la science». «Tôt ou tard», ajoute le très pugnace réfractaire, «ces substances pénétreront dans la biosphère».

Je classe ce long-métrage documentaire (99 minutes), brillamment agencé, dans la lignée «d’Into Eternity» (75 minutes) du Danois Michael Madsen (2) sur Onkalo («la caverne» en finnois), le premier endroit de stockage final pour des combustibles irradiés, à Eurajoki, sur l’île d’Olkiluoto, devant la côte sud-ouest de la Finlande.

René HAMM

Bischoffsheim (Bas-Rhin)

(1) Après la programmation du film dans le cadre des 49èmes Journées cinématographiques de Soleure (du 23 au 30 janvier 2014).

(2) Sorti dans certaines salles hexagonales, le 18 mai 2011, après sa diffusion sur la chaîne franco-allemande, le jeudi 27 janvier 2011 à 0 H 30. Je signale en outre «À Bure pour l’éternité» (début 2014) d’Aymeric et Sébastien Bonetti (52 minutes), projeté le samedi 7 mai 2016, à l’occasion de la 35ème Foire éco-bio de Colmar.