Le journal « L’Alsace » nous apprend que le nom de la grande région Est fait l’objet d’une compétition officielle des plus « fratricides ». L’occasion d’imaginer ce que pourrait être une conversation pour la moins inspirée sur le sujet…

Les avocats prirent place difficilement autour de la table ronde. L’un d’entre eux se leva alors brusquement, laissant ses confrères hébété, puis dégaina un rouleau de papier chiffon défraîchi. Manquant de s’affaisser sur l’un des siens, il se mit à bredouiller quelque galimatias, puis se ressaisit
– Mon appellation est seule légalement recevable, s’emporta-t-il, car « intemporelle, fédératrice par son antériorité historique, reliant passé et avenir ». Par ma foi, je vous l’affirme fièrement, vive la « Nouvelle Austrasie » !, s’écria-t-il, avant d’engloutir le bouchon à Champagne qu’il tenait dissimulé dans la paume de sa main.
– J’objecte doublement, mon bien aimé confrère, protesta le second. Comment peut-on faire dans l’intemporel et l’historique, sans se contredire ? C’est insensé ! J’y vois là une manœuvre bassement dilatoire, destinée à brimer les acaliens, et les priver de leur « Acalie » bien aimée ! Ce « nom de baptême fondateur, fédérateur, poétique, paisible, facile à prononcer, harmonieux et intemporel » est un ravissement pour tous, hoqueta-t-il, avant d’achever au goulot la bouteille de quetsche qu’il tira de sa poche.
– Vous n’y pensez pas !, s’emporta le troisième. J’ai vidé toutes mes caisses de Gewurztraminer, c’est là un fait irréfutable, mais ce n’est pas une raison pour préempter le droit inaliénable de se bourrer la gueule au Champagne, comme le font tous les rupins du monde ! Je vais donc opérer une conclusion destinée à faire la synthèse entre nous
– Attendu que nous avons là « une région dynamique », (il lève son verre), attendu que son « développement économique est ancien et prestigieux », (il s’écrase sur la table), attendu que son « patrimoine historique et culturel est reconnu depuis l’Antiquité », (il essaie vainement de porter une coupe à ses lèvres), j’ai l’honneur et le bonheur de conclure en l’espèce, et d’annoncer officiellement l’avènement de « Rhin-Champagne », et rien à battre des Lorrains, ils n’ont qu’à se farcir leur daube de sanglier chez le voisin grec !
– Halte au fou !, se rengorgea le quatrième, « Grand Est » est la dénomination la plus limpidement technocratique. En outre, elle évoque les points cardinaux, car si l’on n’est pas toujours à l’ouest en tant que défenseurs, il est certain que l’on sera toujours l’Estien de quelqu’un !
– Faites-vous référence à l’« Estrie », s’enquit le premier ? Car ce choix n’a pas été retenu par le grand-bâtonnier !
– Mais pas du tout, s’énerva le second, c’est « Orest » qui n’a pas été choisi.
– Vous faites erreur, c’est « Île d’Europe » qui est passé à la trappe !
Fulminant comme un Mérovingien, l’un d’eux se saisit d’une andouillette et l’écrasa sur le visage d’un autre, qui, grondant, lui répondit qu’il se prenait à lui seul pour le Super’Est de la Carolingie !
On s’en doute, la bataille qui suivit fut éléphant’est. Mais il est vrai que le débat demeure littéralement pachydermique, et les enjeux semblent vraiment… gigant’est !

Gundulf de Fronde