Il n’est donc pas allé « jusqu’au bout » comme il l’avait clamé, tout pectoraux dehors, fin février. Manuel Valls a dû prendre en compte l’opposition syndicale à la loi El Khomri et modifier quelques articles en acceptant des propositions des propositions que les syndicats CFDT-CFTC-CFE-CGC-UNSA et FAGE lui avaient suggéré. Est-ce un recul suffisant pour rendre acceptable un texte modifiant fondamentalement le modèle social français ou bien est-ce le début d’un processus qui pourrait déboucher sur un retrait total. Les prochains jours seront cruciaux sur ce point.

Pour Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT et pour beaucoup d’observateurs co-auteur de la nouvelle mouture, c’est devenu un texte « porteur de progrès pour les jeunes et les salariés ». L’organisation étudiante FAGE, elle, y voit « des avancées majeures ». La CGC qui avait subit les menaces du MEDF si elle « plantait la loi El-Khomri », « se félicite notamment de la modification d’une des mesures phares du texte, à savoir le barème des indemnités prud’homales » mais attend le 21 mars pour prendre une décision finale sur l’appréciation du nouveau texte.

La FCPE (parents d’élèves)  « prend acte de la décision du gouvernement de retirer (…)  la disposition visant à l’augmentation du temps de travail des apprentis mineurs à 40 heures par semaine et jusqu’à 10 heures par jour. »

Comme il fallait s’y attendre, le MEDEF et la CGPME, soutenu par les partis de droite, surjoue l’indignation alors qu’ils obtiennent satisfaction sur des points essentiels et fondamentaux. Mais évidemment, ils n’en ont jamais assez…

Des modifications non négligeables

Le gouvernement a néanmoins dû accepter de réécrire quelques articles parmi les plus durs du projet de loi. Il n’y aura plus de plafonnement des indemnités prud’homales mais un « barème uniquement indicatif. » Ce dispositif était de toute façon incongru : une condamnation de la part des Prud’hommes n’intervient que si l’employeur a fait une faute dans la procédure et le préjudice doit être évalué par une instance paritaire (patronat et salariés) en fonction de la gravité de la faute.

Autre point de friction qui disparaît : l’augmentation du travail des apprentis (et donc d’enfants) qui reste à 8 h par jour.

L’intervention d’un syndicaliste extérieur à l’entreprise pour négocier un accord sur les forfaits jours, la nécessité d’un accord de branche (et non seulement d’entreprise) pour flexibiliser le temps de travail sont deux autres modifications.

S’y ajoute de nouveaux dispositifs en matière de formation avec l’extension de la garantie jeunes à tous les jeunes sans formation et une augmentation du nombre d’heures pour les salariés sans diplôme. Manque pourtant sur ce point les moyens de financement qui ne sont pas précisés.

Une fracture apparaît clairement

Comme il fallait s’y attendre, les syndicats et organisations opposées à cette loi ne considère pas que les modifications apportées la rendent acceptables.

CGT, Force Ouvrière, FSU et l’UNEF continuent d’appeler à la mobilisation pour le retrait pur et simple du texte et l’ouverture de discussions sur les réformes susceptibles d’intervenir dans le futur code du travail. La Fédération des Conseils des Parents d’Elèves (FCPE) réaffirme son soutien aux organisations de jeunesse et appelle les parents d’élèves à se joindre aux mobilisations organisées par les jeunes.

Sans nier des avancées dans le texte, ces organisations mettent en cause les orientations qui ont présidé à l’élaboration du texte. Elles continuent de dénoncer une précarisation accrue et estiment que la loi est inefficace pour atteindre le but recherché : lutter contre le chômage.

Mais c’est la transformation profonde du modèle social français qu’ils rejettent le plus massivement. Il est basé sur une hiérarchie des normes qui font de la loi le socle intangible du droit du travail. Les accords de branche ne peuvent qu’améliorer la loi, tout comme les accords d’entreprise ne peuvent qu’améliorer un accord de branche.

Or, l’actuel projet de loi continue dans la même voie que Nicolas Sarkozy avait déjà entamé, en permettant aux accords d’entreprise d’être en-dessous de la loi et donc du code du travail. Cette inversion des normes favorisera le développement de la précarité car plus on va vers le lieu du travail et plus les salariés sont vulnérables.

En cela, la France est conforme à des normes européennes mais l’importance de la loi est bien plus forte dans notre pays que chez nos voisins. En Allemagne, le code du travail est très minimaliste et ce sont avant tout les accords de branche qui sont la base du modèle social. Jusqu’à très récemment, un accord d’entreprise était totalement impensable sur des points fondamentaux de la loi du travail. Ce qui est également en train de changer car le patronat allemand voudrait privilégier le lieu de travail pour négocier.

Une part de l’histoire

Les rapports sociaux sont étroitement liés à l’histoire d’un pays. Dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 24 juin 1794, il est déjà stipulé que « Tout homme peut engager ses services, son temps ; mais il ne peut se vendre ni être vendu ; sa personne n’est pas une propriété aliénable. La loi ne reconnaît point de domesticité ; il ne peut exister qu’un engagement de soins et de reconnaissance, entre l’homme qui travail et celui qui l’emploie ». C’est donc dans « la loi de la loi », la Constitution, que les rapports sociaux commencent à être réglementé.

C’est donc avant tout par la « loi » que le mouvement ouvrier (syndical et politique) a mis en place les « protections » du salariat qui est évidemment dans un état de subordination vis-à-vis de l’employeur. On ne peut parler d’« égalité » entre deux personnes dont l’une dépend de l’autre pour assurer son existence ou tout simplement sa pitance.

Le fait de passer par la loi et donc la voie législative pour assurer cette protection a profondément modelé l’organisation des syndicats en France.

Contrairement aux autres pays européens, le syndicalisme français est avant tout un syndicalisme qui puise ses forces dans son influence et sa capacité de mobilisation pour imposer une loi favorable à ses mandants. Pas dans le nombre de ses adhérents. Les syndicats sont les premiers à le regretter mais c’est ainsi. En Scandinavie par exemple, les syndicats sont étroitement associés à la gestion de l’Etat qui leur délègue des tâches qui en France sont assumés par des services publics. Un salarié suédois ne touchera pas d’indemnités chômage s’il n’est pas syndiqué car c’est le syndicat qui gère la caisse de chômage. L’incitation à la syndicalisation est évidemment forte dans ce cas.

Le besoin d’un syndicalisme plus fort

L’inversion des normes sociales faisant de l’entreprise le lieu privilégié de la négociation sur des points fondamentaux (temps de travail, salaire, bientôt la santé complémentaire…) fragilise les salariés car le syndicalisme est très peu présent dans la majorité des entreprises françaises.

Il a sûrement des responsabilités en la matière, la réaction du patronat français en est la cause principale car il a du mal à accepter l’instauration d’un dialogue social souvent présenté comme « une perte de temps et donc d’argent ». Il est d’ailleurs symptomatique de lire la réaction du président de la CGPME (petites et moyennes entreprises) François Asselin qui  rejette vigoureusement la possibilité (non pas l’obligation !) de mandater un syndicaliste extérieur pour conclure un accord dans les petites entreprises. Là justement où les salariés sont le plus vulnérables !

C’est cela que les syndicats rejetant le projet de loi dénoncent le plus fortement car il livrerait, selon elles, les salariés au bon vouloir de leur patron qui pourra décider de tout et limitera les droits que des générations de travailleurs ont construits depuis des décennies.

L’absence d’un volet « droits syndicaux » dans cette réforme n’augure rien de bon car le projet de loi déséquilibre le rapport de force en faveur des entreprises.

Un boulevard pour l’idéologie de droite et de l’extrême-droite

Benoît Apparu, membre éminent de Les Républicains et prêt à voter le projet de loi, l’a reconnu sur France Info : « Le recul du gouvernement est regrettable. Mais il nous ouvre un boulevard idéologique en cas d’alternance en 2017. Tous nos candidats veulent aller beaucoup plus loin dans les modifications du code du travail, l’abolition des 35 h, etc.…, ce texte nous aidera à le faire. Mais nous perdrons dix-huit mois… »

Voilà de quoi renforcer les arguments de ceux qui considèrent que ce projet n’est pas amendable et qu’il faut le retirer. Prochain rendez-vous le 17 mars avec des rassemblements dans les universités à l’appel de l’UNEF et le 31 mars à l’initiative de la CGT, FO, FSU et l’UNEF.

MM

UN AUTRE SON DE CLOCHE SUR RADIO MNE 107.5 OU RADIOMNE.COM

Jeudi 17 mars, de 20 h à 21 h, l’équipe de L’Alterpresse68 anime une émission sur radio MNE dont le titre est:

« La loi travail et la jeunesse : la fin de la  précarité ou une légalisation encadrée ? »

 avec des représentants étudiants et lycéens