Un itinéraire louche

Propriétaire de la banque Pasche, le groupe Crédit Mutuel-CIC s’est séparé à partir de juin 2013 de deux de ses succursales : la banque Pasche Monaco et la banque Pasche Luxembourg. C’est comme ça dans la finance : les « experts » jonglent avec les filiales et les succursales des filiales. Ne leur demandez pas de faire simple : il vaut mieux, pour eux, faire compliqué !…

La banque Pasche elle-même, qui a son siège à Genève, a quelque chose à voir avec les Bahamas. Vous suivez toujours ?… Monaco, Luxembourg, Genève, les Bahamas… Comme vous, peut-être, à la lecture de cet itinéraire louche, la procureure nationale financière a été prise de doutes et de soupçons de fraudes fiscales et a saisi la Direction nationale des enquêtes financières (DNEF). L’Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR) s’est aussi posé des questions et chercherait actuellement des réponses.

C’est ce que nous ont annoncé en décembre 2014 les journalistes de la revue électronique Mediapart qui s’intéressent depuis pas mal de temps aux bonnes « affaires » du groupe Crédit Mutuel-CIC. D’autres médias en ont parlé, comme l’Obs, Rue89 Strasbourg et le Monde. Et même France Info où, pourtant, le Crédit Mutuel « donne le la »(1).

Quant aux médias du groupe EBRA ils sont restés muets sur la question… L’exemple vient de haut : quand Mediapart a questionné le Crédit Mutuel, la « banque à qui parler » « n’a pas souhaité s’exprimer »…

Et le vin blanc ?… Et le kougelhopf ?…

Mediapart avait déjà publié une série d’articles sur le sujet en juin 2014. Comme dans celui de décembre 2014, il est question de blanchiment d’argent, d’évasion fiscale, de démarchage de clients français à travers les activités des filiales de la banque Pasche. « La direction du Crédit Mutuel-CIC n’a pris aucune mesure pour enquêter sur les agissements de sa filiale. Les lanceurs d’alerte avaient été licenciés pour des raisons économiques » souligne Mediapart qui ajoute : « les soupçons se rapprochent de la maison mère ».

En tout cas, les investigations de la DNEF se poursuivent, comme celles de l’ACPR. Un doute nous étreint : les enquêteurs ne vont quand même pas s’en prendre aux « 7,6 millions de clients-sociétaires » au prétexte que la banque « leur appartient » et que donc « ça change tout » dans la désignation des coupables ?! En tout cas on peut se demander s’il y a là de quoi changer l’ambiance et gâcher la dégustation du vin blanc et du kougelhopf lors des prochaines assemblées générales annuelles de certaines agences locales particulièrement bien-pensantes…

Et encore un petit tour du côté des Bahamas…

Un collectif de plus d’une vingtaine d’organisations (dont le CCFD-Terre Solidaires, ATTAC, des organisations syndicales, Anticor, Survie, etc) qui se fait appeler « Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires » fait remarquer dans un dossier en accès libre sur internet que le Crédit Mutuel a quatre filiales aux Bahamas dont le Produit Net Bancaire (PNB = chiffre d’affaire d’une banque) ne représente que 0,02% de son PNB global. « Cela peut laisser penser, affirme ce collectif, qu’il s’agit essentiellement de conduits qui permettent de profiter des avantages juridiques et réglementaires de ces centres offshore ».

S’il est difficile d’approfondir l’analyse avec les données actuellement disponibles, il faut néanmoins constater que, d’après les calculs de ce collectif, comparé aux autres banques françaises, le Crédit Mutuel-CIC possède proportionnellement davantage de filiales étrangères dans des paradis fiscaux que toutes ses concurrentes françaises (54% des filiales étrangères du Crédit Mutuel sont dans des paradis fiscaux, contre seulement 31% pour la BNP, par exemple). Mais peut-être que cette quête frénétique du paradis tient tout bêtement aux lointaines et pieuses origines de la banque ?…

Pour revenir à Wattwiller

Quittons Les Bahamas pour revenir en Alsace. A Wattwiller plus précisément. Encore un paradis où il n’y a pas que l’eau qui est pure : l’agence du Crédit Mutuel de la localité l’est tout autant. Si on pouvait avoir tendance à l’ignorer, la chargée de clientèle de cette agence a tenu à le souligner, en attribuant ingénument la propreté irréprochable de son comptoir à l’ensemble du Crédit Mutuel.

Elle a en effet adressé un courriel à des organisateurs de la 3ème édition du « festival du film engagé » qui se déroulait fin novembre 2014 dans les vallées de Thur et de la Doller, pour rappeler «que le Crédit Mutuel ne cautionne pas certaines dérives dans les milieux de la finance» et préciser «que la structure mutualiste du Crédit Mutuel, base de son fondement et de son fonctionnement, en met ses sociétaires clients à l’abri».

Cette salariée de l’agence de Wattwiller s’autorisait, ce faisant, à tancer les organisateurs du festival qui avaient eu l’outrecuidance de diffuser un tract annonçant la projection du documentaire « La Dette » en s’interrogeant sur la moralité des banques (HSBC(2) était citée dans le tract, mais pas le Crédit Mutuel, cependant). La chargée de clientèle ne se contentait pas de gronder les organisateurs ; on sentait aussi dans son courriel une menace, qui a été explicitée depuis : les 500 euros que l’agence du Crédit Mutuel de Wattwiller s’était engagée à verser pour contribuer au financement du festival ne seront finalement pas versés aux associations organisatrices.

Lesquelles ne s’en plaindront pas : nonobstant l’indignation outragée de Sa Sainteté le Crédit Mutuel, ce festival a été une réussite. Même sur le plan financier, cela s’est bien passé : pas de déficit. Il serait même envisageable d’offrir à Madame la chargée de clientèle de l’agence de Wattwiller – pour son édification – un exemplaire d’un ouvrage remarquable qui vient de paraître : « Le livre noir des banques ». Elle n’aura pas besoin de le transmettre à sa hiérarchie, qui n’apprendra rien à sa lecture.

B. Schaeffer

13 février 2015

(1) C’est le slogan publicitaire diffusé de temps en temps sur France Info et sur d’autres chaînes du service public. Lorsqu’une information ou une émission (la chaîne de télévision France 2 est aussi contaminée) concernant la musique est diffusée, on entend d’abord, sur France Info par exemple, le slogan : « Le Crédit Mutuel donne le la ». On aimerait bien savoir ce que rapporte financièrement au service public de radio/télévision cette pub semi-clandestine. Et à la place des journalistes de France Info qui viennent de faire preuve d’un peu d’audace, on se méfierait. Le patron Michel Lucas pourrait leur rappeler d’une manière ou d’une autre qu’il ne faut pas trop le contrarier sur certains sujets. Quand le quotidien Les Echos s’est permis en 2010 de dévoiler le salaire du banquier le mieux payé de France, le nanti désigné a vigoureusement réagi : il a exigé des Echos la publication immédiate d’un erratum démentant le montant du salaire, résilié les 1200 abonnements du Crédit Mutuel à ce quotidien et, sanction financière la plus lourde, retiré toutes les publicités que le groupe CréditMutuel-CIC faisait paraître dans Les Echos ; L’Alterpresse 68, au moins, ne risque rien sur ce plan là…

(2) Dans une passionnante série d’articles parue il y a un an le CADTM décrit l’histoire et les forfaits des banksters les plus redoutable de la planète. Durant une très longue existence, HSBC a eu le temps de peaufiner ses techniques et ses forfaits qui s’effectuent à une échelle bien plus importante que celle qui vient d’apparaître à travers la fraude fiscale récemment dévoilée.